C’est le nom d’un projet de l’Education Nationale, pour lequel Olivier Delavaud et Emilie Mercier, respectivement Professeur d’histoire géographie et Professeure d’espagnol, ont inscrit une classe de 3ème du Collège Blanqui.
Il s’agit pour ces élèves, d’effectuer durant l’année scolaire un travail de recherche, de documentation, d’interrogation de témoins vivants, pour retracer l’histoire du quartier durant la seconde guerre mondiale, notamment le sort réservé à certaines populations : les juifs et les tziganes. Les éléments collectés serviront à la création de parcours sonores géo localisés.
Ce projet a pour but également d’ouvrir les élèves et le collège, à un partenariat avec des institutions ou des associations locales. Notre journal a ainsi contribué à proposer des ressources pour mener à bien ce projet. Nous rendons compte dans ce qui suit, d’échanges entre les élèves et deux de leurs invités. Extraits.
La suite sur cet article : Par les vivants (suite)
Bacalan occupé
Comment vivait-on ici pendant la guerre ? Pierre Brana* s’est livré sur cette période et en a profité pour délivrer quelques messages : « C’est la peur qui dominait, la présence de l’occupant était oppressante. Dans un quartier ouvrier et très antinazi, il y avait une profonde hostilité à l’égard de tous les Allemands. Il m’a fallu longtemps pour éloigner ce sentiment, et comprendre qu’il faut dissocier un peuple -cultivé qui plus est- du dictateur qui le gouverne ».
La persécution des juifs a ici un visage, celui du Docteur Schinazi. L’enfant Pierre Brana victime d’une mauvaise pneumonie lui doit la vie : « On l’appelait le médecin des pauvres. Il n’y avait pas de sécurité sociale à l’époque, et il soignait ceux qui avaient de l’argent et ceux qui n’en avaient pas. Les autorités pétainistes lui interdirent d’exercer la médecine parce qu’il était juif. Je me souviens que ma mère avait lancé une pétition contre cette mesure. Il a été arrêté et déporté, et on a appris longtemps après l’atrocité de sa marche vers la mort ». Pierre Brana a dit ses inquiétudes face aux conflits en cours, quand la religion ou les origines justifient les guerres, comme si l’histoire se répétait.
Fort de son parcours personnel et de ses engagements, il a invité les collégiens à être curieux, à lire, à se nourrir et à apprendre à recevoir des autres. A la question : quelles sont les rencontres que vous avez faites, qui vous ont le plus impressionnées ? Pierre Brana a répondu : « Aung San Suu Kyi, Nelson Mandela et l’Abbé Pierre ». Évidemment.
Lieu de tragédie pour l’enfant Juif
Boris Cyrulnik** est confié par ses parents en 1942 à une pension, pour lui éviter la déportation où eux perdront la vie. Il a alors 6 ans et demi. Il est ensuite recueilli par une institutrice Marguerite Farges qui le cache chez elle. Il y est arrêté lors de la rafle du 10 janvier 1944, et détenu à la grande Synagogue de Bordeaux. Grâce à un incroyable instinct de survie, il se cache au dessus des toilettes, est sauvé par une infirmière, puis caché par un réseau jusqu’à la libération.
Il répond à la question d’une collégienne lui demandant s’il lui était difficile de revenir à Bordeaux : « Je n’ai pas pu revenir pendant 40 ans, parce que c’était le lieu de la tragédie. La mémoire de la gestapo et de la milice qui puaient la haine. J’ai cherché à oublier, mais on n’oublie pas. Il faut du temps pour comprendre, réfléchir, trouver une paix intérieure »… Ce chemin parcouru, fait qu’il y revient désormais avec joie. « Bordeaux aujourd’hui est une belle ville, une ville de culture, de cinéma de théâtre, de littérature, et l’art permet justement de donner de la distance aux choses. L’art permet d’échanger, de débattre, d’avoir plusieurs récits. Un seul récit est toujours dangereux, quant il n’y a qu’un seul récit, c’est une dictature ».
Lors de cet échange, Boris Cyrulnik a invité les élèves à chercher sans cesse à comprendre les situations, à toujours garder l’esprit critique, ce qui l’a probablement sauvé il y a 80 ans dans la Synagogue de Bordeaux. Et comme un passage de témoin à la jeune génération, ces mots : « il y a plusieurs religions, plusieurs pays, plusieurs couleurs de peau, et c’est cette diversité qui est intéressante. C’est à vous d’inventer avec des débats, la culture de demain ».
D’autres rencontres sont à venir. Félicitations aux initiateurs et aux jeunes acteurs de ce projet.
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Christian Galatrie
*Pierre Brana est né à Bordeaux en 1933, ancien homme politique membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, conseiller du Premier ministre Michel Rocard, ancien ingénieur, historien et écrivain, auteur d’ « Une jeunesse Bacalanaise ».
**Boris Cyrulnik est né à Bordeaux en 1937, médecin neuropsychiatre et psychanalyste, Directeur d’enseignement à l’Université de Toulon, auteur de nombreux ouvrages pour le grand public, il a notamment vulgarisé le concept de résilience (renaitre de sa souffrance).
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