Delphine Delas sème son art sur les murs depuis plusieurs années au gré de ses inspirations, des commandes artistiques et de ces rencontres qui font naître les projets. Dans les sentes des Bassins à flot, autour du Garage moderne (pour l’opération Cubacalan, imaginée dans le cadre de la semaine de l’Amérique latine et des Caraïbes 2021 par l’association Bordeaux Parallaxes), dans les ruelles sinueuses de Claveau ou sur un mur de Bacalan, ses fresques murales jalonnent le parcours. Fortement imprégnée de son histoire familiale bacalanaise, ce n’est pas un hasard si elle pose régulièrement ses pinceaux dans le quartier.
Sa grand-mère médocaine et son grand-père espagnol se sont installés chemin de Labarde, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, durant laquelle sa mère est née en 1945, « à une époque où Bacalan était encore un marécage, une zone sauvage parsemée de fermes ». Enfant, Delphine a été marquée par les vieilles photos familiales, témoins de ce passé révolu. Elle est particulièrement fière de son héritage bacalanais. Sa grand-mère travaillait dans une épicerie chemin de Labarde ; avec son mari, ils ont caché des Juifs, ce qui leur a valu de figurer sur une liste noire pour être déportés. Heureusement, la fin de la guerre est arrivée sans qu’ils ne connaissent les camps.
Elle aime le quartier pour son esprit ouvrier, populaire, solidaire encore très prégnant et qui jusqu’ici n’a pas réellement changé, ces caractéristiques qui lui valent d’être unique. Elle aime cet ADN et cette volonté de rester tels des Gaulois qui luttent contre la construction massive et la transformation, que vit la métropole aujourd’hui. Le cœur historique de Bacalan est encore protégé, il a su préserver une certaine authenticité et garder ces organisations humaines qui favorisent les rassemblements de gens, les fêtes, permettent de conserver les commerces, les services publics. Ici, elle retrouve cette atmosphère intergénérationnelle, une ambiance presque familiale, et une fierté toute bacalanaise.
Elle a suivi une formation d’historienne de l’art et arts plastiques et quand elle ne dessine pas, elle est professeure d’arts plastiques. Lors de ses études à l’école du Louvre et à la Sorbonne, elle a exploré toutes les époques. Elle a des appétences pour les sujets mythologiques qui constituent sa principale source d’inspiration. Ce qui l’attire, c’est la notion de conte et de légende, que l’on retrouve dans toutes les civilisations. Son univers n’est pas réaliste, elle n’est pas dans la représentation du quotidien. Son travail va avoir une conséquence sociale mais ce n’est pas l’origine de sa démarche.
Elle fourmille de projets et d’idées dans le quartier, à Bordeaux, en France, mais aussi à l’étranger. Son travail se décline sous trois formes : les fresques, le collage et le mapping vidéo (1), qu’elle utilise quand elle ne peut pas atteindre certaines hauteurs ou quand des contraintes patrimoniales l’empêchent de toucher aux murs. Sa dernière réalisation bacalanaise, qui vient d’être inaugurée (2) est née en 2017, alors qu’elle travaillait autour du projet de territoire « Palimpseste », pour évoquer les différentes couches de paysages qui caractérisaient ce territoire bacalanais. Elle est venue en parler avec Nicole Concordet, l’architecte qui a assuré la maîtrise d’œuvre de la réhabilitation des maisons de Claveau, qui l’a mise en contact avec Aquitanis, le gestionnaire. Cet office public du logement lui a prêté les murs des deux rotondes de Claveau, en face de l’école Point-du-Jour, pour laisser libre cours à son imagination. En 2021, les fresques murales ayant fanées avec le soleil, elle a repris contact avec Nicole Concordet, qui l’a orientée vers Marion Garandeau, architecte urbaniste, qui accompagne au quotidien la transformation des espaces publics en impliquant les riverains autour de plusieurs réalisations à Claveau. Cette dernière préparait un projet collaboratif et participatif de bibliothèque de rue ouverte à tous, sur le modèle d’une boîte à livres, baptisée Le Kiosque. La proposition de Delphine Delas de réaliser de nouvelles fresques murales s’inscrivait totalement dans la démarche. L’artiste a conçu son œuvre autour d’un univers mythologique, son thème de prédilection, qui pouvait faire écho avec les élèves de l’école maternelle du Point-du-Jour, située en face. Elle a fait le choix d’un bleu méditerranée, qu’elle affectionne tout particulièrement, et de la couleur or, qui renvoie énormément la lumière et l’en protège. Les deux sites étant orientés vers le soleil, il fallait des couleurs résistantes. Elle a écrit les noms de tous les personnages de la mythologie représentés, pour que les enfants puissent les reconnaître. Une interaction s’est créée avec les petits qui sont venus lui poser des questions lorsqu’elle peignait, et se sont intéressés. Elle porte toujours une attention particulière aux lieux où elle créé, avec une volonté de réfléchir, de s’inspirer et de s’imprégner du contexte dans lequel elle peint.
Ce projet à peine fini, elle part déjà vers de nouveaux horizons créatifs, mais il n’est pas impossible que dans un avenir proche vous la retrouviez dans le quartier pinceau à la main, alors gardez l’œil ouvert.
(1) Technique qui permet de projeter des vidéos sur des volumes en jouant avec leur relief.
(2)Le Kiosque est un nouvel espace culturel et social qui a été inauguré le 12 octobre, en présence des différentes parties prenantes du projet, Vincent Maurin, maire-adjoint du quartier Bordeaux Maritime, Marion Garandeau, architecte urbaniste et Jean-Luc Gorce, directeur général d’Aquitanis.
Marjorie Michel
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