Buscaillet : Place des contrastes ?

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À la faveur de la réhabilitation de la place Buscaillet, nous avons souhaité la connaître telle qu’elle a été pensée, la découvrir avec ses nouveaux atours et recueillir l’avis des habitants.
Ces derniers avaient joué le jeu d’ateliers, bien avant les travaux, pour rêver la place et avaient imaginé des usages. Sont-ils restitués ? Pourra-t-on y penser plus tard ? Le principal aménagement, les fontaines, a-t-il été approprié par les habitants ? Nous leur avons demandé leur avis, notre rédactrice en chef et des élèves qui ont étudié les fontaines nous en parlent.
Enfin, bien que la richesse architecturale de la place Buscaillet soit reconnue comme une des icônes du modernisme des années 1930 à Bordeaux, ses bâtiments des anciens bains-douches sont laissés à l’abandon : à quand leur rénovation ?

Dossier réalisé par Christian Galatrie, Lyès Hamache, Frédérique Hoerner, Kathryn Larcher, Alain Mangini et Marjorie Michel

La vie associative fait vivre-entretient le patrimoine de la place Buscaillet

Définition de patrimoine : Étymol. et Hist.1. Ca 1150 « ensemble des biens, des droits hérités du père » (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 6760) / ce qui est considéré comme une propriété transmise par les ancêtres / Ensemble des biens hérités des ascendants ou réunis et conservés pour être transmis aux descendants / Ce qui est transmis à une personne, une collectivité, par les ancêtres, les générations précédentes, et qui est considéré comme un héritage commun.
La place Auguste-Adolphe-Buscaillet se trouve dans le quartier populaire et métissé-cosmopolite de Bacalan. Elle porte depuis 1926 le nom d’un conseiller municipal, défenseur attitré des travailleurs en général et de ceux du port en particulier, mort en 1920. L’ensemble architectural réalisé en béton armé fut achevé et inauguré en 1937.

Une esthétique dépouillée et moderne

Les deux bâtiments séparés et installés sur une terrasse qui assurent leur mise en scène par une surélévation, tournent leurs façades vers une vaste place aménagée en jardin public. Les deux pavillons, l’un réservé aux Bains-Douches proprement dits, l’autre destiné à recevoir une crèche et un dispensaire – pourvu de deux façades (la première donnant rue Charlevoix-de-Villers et la seconde sur la place) et de deux entrées distinctes, présentent des parties identiques qui composent ainsi une véritable place contemporaine, harmonieuse. Chaque pavillon, auquel on accède par un emmarchement convexe, présente deux ailes basses aux élévations latérales légèrement bombées qui s’ouvrent largement vers la place pour mieux se refermer vers le corps central mis ainsi en valeur. Celui-ci s’élève en une rotonde magnifiée par des colonnes, deux pour la crèche, quatre pour les bains-douches. Le jeu des volumes qui s’imbriquent, la rencontre des droites et des courbes qui s’équilibrent compensent l’absence de décor, qui se réduit aux grilles de fer forgé et aux armes de Bordeaux (interprétées par Binquet) et répondent exactement à l’idéal de modernisme mesuré recherché par l’architecture municipale des années 1930.
(Sources : Le Sud-ouest Art Déco en 101 monuments, hors-série des éditions Le Festin 12/2016, Bordeaux La conquête de la modernité – éditions Mollat).

Histoire de l’ensemble de la place Adolphe-Buscaillet

Moderniser Bacalan
Soucieux de poursuivre sa politique sociale d’amélioration de l’éducation et de l’hygiène dans le quartier périphérique et déshérité de Bacalan, le maire Adrien Marquet sollicita en 1930 l’architecte Pierre Ferret pour la construction, place Adolphe-Buscaillet, d’un complexe comprenant un dispensaire, une crèche et des bains-douches. Conformément aux vœux du maire qui souhaitait « un tout harmonieux » gai et aéré, Ferret étudia l’implantation au fond de la place de deux pavillons séparés par un théâtre de verdure / jardin d’enfants, en son centre. (jardin planté de quelques cyprès et qui voit érigé en son milieu un « phare »/une « fontaine »).

Les bâtiments : patrimoine collectif

Les anciens Bains-Douches sont inscrits au label « Patrimoine du XXe siècle » depuis 2007, label officiel français créé en 1999 par le ministère de la Culture pour être décerné à des réalisations architecturales et urbanistiques appartenant au patrimoine culturel du XXe siècle et considérées comme remarquables. Conséquences du label : contrairement à l’inscription ou au classement aux monuments historiques par exemple, il n’en résulte pas de mesure de protection ou de contraintes particulières, il s’agit simplement d’une mise en lumière des productions labellisées, par diverses mesures de promotion telles que l’apposition d’une plaque informative sur l’édifice, des publications, des expositions, ou l’inscription dans la base Mérimée. Ces mesures visent à attirer l’attention non seulement des décideurs et des aménageurs, mais aussi du public et des usagers, afin de créer une conscience collective de la valeur de ce patrimoine particulièrement exposé, favorisant ainsi sa conservation et sa sauvegarde. En effet, c’est une manière de faire changer le regard sur un patrimoine qui peut sembler peu intéressant, qui peut avoir été oublié, ou qui peut être associé à des éléments négatifs. Incidemment, le label peut aussi constituer un levier de développement du tourisme local.

Les bâtiments : état général

Une concertation a été lancée dans le but de réaménager la place Buscaillet fin 2015, (réaménagement en partie réalisé) et dans le même temps la rénovation des bâtiments n’a pas été officiellement engagée ! Pire, la rénovation tarde à venir et les interventions techniques sont réalisées à la marge pour le moment. En effet, les bâtiments sont au minimum défraîchis, au pire en mauvais état à certains endroits.

Les bâtiments : usages

Les bâtiments ont trouvé une autre affectation depuis que le quartier a vu se construire au début des années 70 de grands ensembles d’habitations collectifs, la Cité Lumineuse et le Port de la Lune, dotés des commodités modernes (eau chaude, salle de bain et sanitaire individuel, chauffage collectif). Aussi la démocratisation des chaudières au gaz individuelles permît d’équiper de nombreuses habitations individuelles du quartier et de la ville.
Actuellement l’usage des espaces intérieurs des pavillons est celui de salles municipales depuis la réaffectation décidée sous l’impulsion du maire Chaban-Delmas en espaces associatifs, lieu de rencontres et lieu de vie culturelle, sociale et associative.
Ces bâtiments publics appartiennent à la ville de Bordeaux en affectation à l’accueil du public et font office d’ERP. ERP est l’acronyme d’un établissement recevant du public. Ce sont des bâtiments acceptant d’accueillir les personnes qui sont extérieures à l’établissement – c’est-à-dire les ménages qui ne travaillent pas au sein de la structure immobilière.
La ville de Bordeaux met à disposition les anciens bains-douches au club sportif Boxing Club Bacalan (150 adhérents filles et garçons) qui dispose d’une salle d’entrainement avec ring de boxe, vestiaires et hall d’accueil, à l’association solidaire Gargantua (voir numéro journal n°…) ainsi qu’une salle destinée aux activités associatives nommée récemment salle Bacalan et qui accueille principalement le Comité des fêtes de Bacalan, BM2S – apprentissage des 1ers secours, le Taï-chi Chuan de l’association Le Méridien Bordeaux, l’atelier zumba animé par un collectif de bacalanaises et les activités de l’ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants et victimes de Guerre). L’autre bâtiment, ancienne crèche et dispensaire, accueille le club sportif Judo Club Bacalanais (150 adhérents) qui officie au sein d’un dojo + vestiaires + bureau + hall, en arrière du bâtiment est installé le club-house et siège social du doyen des clubs amateurs de football français fondé en 1876 le Bordeaux Athletic Club (250 adhérents), association qui accueille le comité de rédaction du journal d’habitants Bacalan, et aussi des ateliers de danse indienne et orientale, de répétition de théâtre et de chorale, de danses urbaines, de formations destinées au monde associatif et sportif, des expos photos, lieu de répétition de groupe musical, etc…; le bureau de l’ADIQB-association de défense des intérêts du quartier Bacalan, ainsi que le bureau-siège social de l’ARAC. À l’étage se situe un ancien appartement (maison du gardien-logement de service) requalifié en espace associatif. Les associations qui animent ces équipements de la ville sont toutes reconnues d’utilité publique et sont en charge, par délégation, de missions de service public.

Projet de rénovation /réhabilitation du bâtiment, à quand l’intervention publique ?

Les pavillons appartiennent à la mairie de Bordeaux, déjà alertée à plusieurs reprises sur la détérioration extérieure et intérieure (fissures) des bâtiments (de nombreuses infiltrations d’eau constatées). La réhabilitation est ardemment désirée par tous les utilisateurs des bâtiments. Souvent interrogés, les passants, rue Charlevoix de Villers, disent que le bâtiment leur paraît être abandonné. A ce jour, la gestion des bâtiments est dévolue à Bordeaux-Métropole qui doit faire face à des contraintes budgétaires et comptables qui pèsent sur les projets et leur financement. Cependant l’entretien des bétons armés est crucial pour que les bâtiments de la place continuent d’exister et ne peut souffrir d’aucune négligence-légèreté (cf photo : puits de jour de trois mètres de diamètre sérieusement abîmé à l’aile nord du bâtiment « dispensaire »). Une mise aux normes générale électrique, accessibilité handicap, isolation thermique (performance énergétique) et phonique (double-vitrage), avec un démarrage rapide, s’impose pour faire rentrer définitivement dans ce nouveau siècle les pavillons Buscaillet. Les projets de rénovation énergétique sont coûteux et à rendement décroissant, mais il est utile de rappeler que les objectifs qui figurent dans la loi sur la transition énergétique et l’économie verte ne sont atteignables que si des travaux lourds sur le bâti sont effectués.
Cette intervention publique volontariste de réhabilitation doit accompagner une stratégie immobilière à long terme : pérenniser les usages de la vie associative au sein de ces bâtiments, patrimoine collectif des habitants de Bordeaux.
N’oublions pas le cœur de la place devant les deux pavillons : le carnaval du quartier s’y tient chaque début de printemps ; pour espérer un nouveau départ, un nouveau printemps. Il y résonne encore l’histoire du lieu, place de rencontres et de convivialité, de vie sociale-populaire et de rassemblement.
Dans un monde en pleine mutation, en quête de repères, dans un quartier qui est en soi une petite planète, des récits anciens et actuels, des histoires de vie des quatre coins du monde, souhaitons un renouveau à ces bâtiments pour que les associations puissent encore faire battre le cœur de la place afin de favoriser la rencontre et l’envie de vivre ensemble.

Mais qui était Adolphe Buscaillet ?

“Auguste Adolphe Buscaillet (1864 – 1920).
Mécanicien, puis inscrit maritime, il arrive à Bordeaux en 1889 et tient un commerce de vin jusqu’à la fin de sa vie. Conseiller municipal en 1900 dans l’équipe du docteur Lande, il n’est pas réélu en 1908.
En 1904, il est élu conseiller général avec l’étiquette de “socialiste révolutionnaire” et sera réélu jusqu’en 1919.
Une note de l’époque le décrit ainsi :”Brave et honnête homme, estimé de ses collègues… Défenseur attitré des travailleurs en général, et de ceux du port en particulier…franchise un peu brusque.
Bons rapports avec l’Administration.”

Extrait du livre “Dictionnaire des rues de Bordeaux” d’Annick Descas

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