Lettre publique à Mme Muriel RAINFRAY
Présidente du conseil de l’ordre départemental des médecins de gironde
(avec ampliation aux membres de ce conseil).
Madame,
Vous avez probablement été informée du décès de Mr Moïse SCHINAZI survenu le 16 juin 2024 à l’Hôpital Robert PICQUÉ de Villenave d’Ornon. Moïse était le sixième enfant de Mme Marie SABOURIN (fille d’imprimeurs du Cours de la Martinique à Bordeaux) et de Mr Sabatino SCHINAZI, qui a été médecin dans le quartier de Bordeaux Nord de 1920 à 1942.
Moïse SCHINAZI est décédé peu avant ses 94 ans, je l’ai accompagné durant ses derniers jours avec sa famille et ses proches, c’est avec émotion et révolte actualisées que je vous contacte au sujet de son histoire personnelle et familiale.
Depuis 1942, alors qu’il n’avait que douze ans, son existence a été fracassée et anéantie par l’enlèvement de son père, Sabatino, mis en œuvre début juillet de cette année là par l’occupant nazi et les autorités de l’époque. Il a réussi à vivre avec courage et dignité, mais sa dernière compagne de quinze ans nous confirmait régulièrement que le destin tragique de son père et de sa famille était toujours quotidiennement présent dans ses pensées. Vous trouverez quelques éléments mémoriels dans les deux documents ci-joints (dont la synthèse actualisée est dans les archives du Journal Sud-Ouest) :
- une contribution personnelle publiée à l’occasion de la pose du pavé mémoriel Sabatino Schinazi (cf. photos ci-dessus) organisée par la Mairie de Bordeaux le 29 septembre 2022 ;
- un article de Dominique RICHARD publié dans le journal Sud-Ouest du 25 février 2020, jour anniversaire du décès de Sabatino SCHINAZI survenu le 25 février 1945 entre AUSCHWITZ et DACHAU lors de l’évacuation des camps d’extermination (cf. photo).
Vous y lirez que parmi les diverses complicités et responsabilités de l’époque, l’ordre des médecins de gironde y a pris « toute sa place ». Il a même à certains moments devancé les « ordres » des autorités, estimant que le Dr Sabatino SCHINAZI était « un parasite et sale métèque indésirable à la société française, et qu’il avait pactisé avec les éléments ouvriers qui ont tant fait de mal à la France ».
Vous y verrez également que l’ordre des médecins de gironde (aux mains de l’extrême droite médicale dans les années 1940 qui en avait rêvé), interpellé publiquement depuis à plusieurs reprises, a choisi de rester dans le refus de la reconnaissance publique de sa responsabilité.
C’est pourquoi je reviens vers vous à l’occasion du décès de Mr Moïse SCHINAZI, pour vous questionner à nouveau, en cette période particulière de notre pays où le déni du passé, les dérives réactionnaires xénophobes et la recherche de boucs émissaires ne sont pas en diminution.
Nous savons que votre prédécesseur à la présidence ordinale départementale était prêt à sortir du déni mémoriel. Nous savons également qu’il a rencontré quelques difficultés avec sa hiérarchie nationale à ce sujet. Nous savons enfin que vous avez quelques problèmes de légitimité quant à votre arrivée à la présidence en février dernier : l’élection qui vous a portée au pouvoir départemental ordinal s’est faite avec un record d’abstention des médecins girondins qui flirte avec les 85 %.
Mais nous considérons que votre responsabilité est pleine et entière pour redorer quelque peu l’image de l’institution ordinale départementale, alors que la Ville de Bordeaux semble avoir assumé à plusieurs reprises son devoir de mémoire.
Dans l’attente de votre réponse, avec la famille SCHINAZI et ses proches, je reste disponible pour tout échange et vous remercie pour votre attention renouvelée.
Bernard COADOU