Bien en place[s]

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Aujourd’hui, la vie sociale tend à quitter la place publique pour des bâtiments clos, à vocation souvent commerciale, accueillant le public (grandes surfaces) ou, plus récemment, à se replier sur des espaces virtuels (télévision, Internet, réseaux sociaux…). Comment réagir ? En définissant la place publique à Bacalan et en louant ses vertus. Point de passage privilégié, la place s’inscrit dans la tradition de l’agora des cités grecques antiques et du forum romain.
À quoi sert une place publique dans notre quartier ? La traverser, venir se prélasser sur un banc, retrouver des amis, venir assister à un spectacle ou à une animation, jouer, profiter des loisirs de proximité, bénéficier des associations qui y créent des événements… Quelle signification nouvelle peut-on donner à la place aujourd’hui ? Peut-elle redevenir un lieu de rencontres et d’échanges accueillant pour les passants, renforçant le sentiment d’identité, et de convivialité des habitants ?
Le quartier s’est structuré autour de plusieurs places centrales ou secondaires qui en constituent l’élément central. En revanche, elles ne sont pas toujours situées au centre topographique du quartier et ont été aménagées au fur et à mesure de l’histoire urbaine. Points de contacts, elles permettent le développement de la vie sociale, elles renforcent l’identité du quartier tout en améliorant son attractivité à travers le mélange de fréquentations et d’usages.
La place publique se veut être un endroit qui perdure au fil du temps et à travers les saisons. Plus qu’un simple espace public, une place publique devient un lieu où tous sont les bienvenus, pour y passer quelques minutes ou quelques heures.

Bacalan est le quartier qui possède le plus grand nombre d’espaces collectifs permettant une vie culturelle, sportive et associative foisonnante.

Promenade Natura 2000

C’est le prolongement des Berges de Garonne, mais de l’autre côté du pont d’Aquitaine. Ainsi, en longeant la voie du tram et en passant sous ce pont colossal, la balade se poursuit et entre les bâtiments en tôle, on aperçoit des sentiers qui filent vers la Garonne ; il ne faut pas hésiter car on arrive en bord de fleuve et l’on découvre une oasis. Protégée par le ministère de l’environnement, cette zone est coupée du vacarme ambiant et l’on peut découvrir les derniers carrelets de Bordeaux qui s’y succèdent, ainsi que les angéliques, plantes endémiques du bord de Garonne. On peut faire une petite randonnée au bord de l’eau jusqu’aux jardins ouvriers… enfin ce qu’il en reste.

Place René Maran

Qui aurait pu imaginer que ce rond-point, ce défilé incessant de véhicules, devienne un lieu de vie ? En effet, ce rond-point qui porte le nom de René Maran (1887-1960), écrivain lauréat du prix Goncourt en 1921 et premier Français noir à recevoir ce prix pour son roman Batouala, dénonçant les méfaits du colonialisme, est désormais un lieu de marché tous les dimanches matins, avec son vendeur d’huîtres, son fleuriste, son maraîcher… Transformé en lieu d’engagement où nous avons pu, pendant plusieurs mois, voir des gilets
jaunes s’y installer tous les jours, c’est également une sortie d’école où les enfants foncent au boulanger pour acheter leur goûter.

Place Buscaillet

On en a dit des choses sur cette place des années 1930 portant le nom Adolphe Buscaillet (1864-1920), conseiller municipal de Bordeaux et conseiller général de la Gironde sous l’étiquette « socialiste révolutionnaire » (voir numéro 63)…
Ce qui est sûr, c’est qu’elle reste la charnière entre le nouveau quartier et le quartier historique. Un espace extrêmement vivant où le monde associatif ne cesse d’organiser des
événements comme le vide-greniers, le marché de Noël, le Repas de Quartier, le Carnaval, Rock is Bac’, etc. Beaucoup d’acteurs proposent leurs activités sur cette place ou dans
ses bâtiments : Kfé des Familles, Boxing Club Bacalan, Judo Club Bacalan, BAC, Gargantua, Vivons Ensemble, COMICS… Équipée d’un parc pour enfants refait à neuf, cette place constitue un va-et-vient permanent.
Le marché s’y tient tous les vendredis, en l’un des endroits conviviaux où les gens se posent et discutent ensemble toutes générations confondues, auprès d’une des rares « Boîte à lire » et d’une fontaine. Après le réaménagement de cette place, il faudrait dès que possible rénover ce formidable ensemble architectural avant qu’il ne se délite complètement.

Place Pierre Cétois

C’est un nouveau lieu aux Bassins à flot, coincé entre les immeubles récents et accolé au Garage Moderne. Illustre bacalanais et « historien » du quartier, Pierre Cétois (1930-2014) est un ancien rédacteur du Journal. Si vous voulez connaître sa vie et également l’histoire de Bacalan, du Garage Moderne et autres, il vous suffit de regarder l’exposition permanente réalisée sur cet espace de vie. Composée de six panneaux de quatre mètres de haut sur deux mètres de large, l’exposition figure sur le mur du bâtiment le plus ancien. Ce lieu commence à être fréquenté grâce au Garage Moderne (concerts et spectacles), mais aussi à d’autres associations qui proposent des activités et des événements. Les habitants prennent de plus en plus le temps de s’y installer au quotidien. Un seul souci, c’est une litière géante, donc, attention à la verdure…

Parc Hypoustéguy

Ce lieu de vie porte le nom d’un célèbre médecin généraliste bacalanais, le docteur Roger
Hypoustéguy (1910-1995), résistant pendant la guerre et adulé par les habitants. Il faisait
rarement payer les pauvres et se rattrappait sur les plus fortunés, pour que tous aient accès aux soins. Vert, ombragé par des arbres majestueux et à l’abri des deux roues, ce square n’offre que trois accès pour piétons et possède une fontaine – qu’il faudrait réactiver plus souvent, surtout aux périodes de canicule -, de nombreux bancs et une aire de jeux pour les enfants. Il est situé au pied du Centre d’Animation de Bacalan (CAB), qui en profite pour ses nombreuses activités dans le cadre du Centre de Loisirs. Anciennement Château de Bacalan, il a été une base des nazis que ceux-ci firent sauter à la Libération et où seul l’escalier extérieur a été sauvé. Ce parc où demeure un blockhaus est devenu le lieu de Bacalafiesta. La journée, les gens s’y côtoient, y discutent, racontent les nouvelles du quartier, s’y amusent en famille et il est très fréquenté par la jeunesse jusqu’à tard le soir.

Berges de la Garonne

Situées au bord du fleuve comme leur nom l’indique, elles vont de la zone d’activités Achard jusqu’à l’impasse Lafitte (pratiquement au Pont d’Aquitaine), en passant par le Port de la Lune. Propice aux balades et à la rencontre, cet immense espace s’ouvre sur un coin jeux, continue à travers ses allées d’arbres bien ordonnées où l’on croise de nombreux groupes de gens qui discutent sur les bancs, avec vue sur la Garonne. On peut même apercevoir Lormont, puis on tombe sur les pétanqueurs avec leur club House, avant d’apercevoir le dernier ponton de Bacalan ; lequel est encadré par l’association de l’Amicale des Pêcheurs de Bordeaux-Nord qui permet encore d’y louer un emplacement pour son bateau. On enchaîne avec les grands prés de la résidence du Port de la Lune où de nombreux événements se sont déroulés, comme Bacalafiesta, le Festival Nomades, des Cinésites…
On croise alors le seul centre de compostage de Bordeaux ouvert aux habitants et géré par la Régie de Quartier, puis le city stade, avec pour finir, ses grandes étendues herbeuses jusqu’aux jardins partagés.
Pratiquement coupée de la circulation, cette longue balade mélange urbain et nature sur près d’un kilomètre.

Place Victor Raulin

Paléobotaniste et géologue de renom, professeur à l’université de Bordeaux, Victor Raulin (1819-1915) a écrit de nombreux livres sur la botanique et la géologie de l’Aquitaine, du Bassin Parisien, de l’Allier… et de la Crète.
Située au début de la rue Achard et coincée entre les magasins des Vivres de la Marine (à la façade encore présente) et les deux pavillons anciens abattoirs, cette place était au cœur du commerce dès sa création en 1786, avec son ensemble architectural de l’époque. Elle est aujourd’hui occupée, voire privatisée, par Les Vivres de l’Art, association culturelle dirigée par l’artiste Jean-François Buisson. La place est ornée d’oeuvres métalliques monumentales de ce dernier et les deux bâtiments (abattoirs) sont occupés par l’association grâce à un bail emphytéotique (de très longue durée). Tout au long de l’année, des concerts, des expositions, des performances artistiques s’y déroulent, tant sur la place
que dans les deux bâtiments. Cet espace, à l’ambiance si singulière, abrite aussi un jardin partagé, la Brasserie PIP (Pression Imparfaitement Parfaite), une résidence d’artiste(s) et le lieu de création de Jean-François Buisson. Un site sans cesse en ébullition.

La future Place Alice Girou

Un triangle pavé, cabossé par les ans et par l’assaut des voitures. Un bout de quai transformé en stationnement sauvage sans âme où l’on ne fait que passer. Cette enclave délaissée à la croisée du quai Armand Lalande et de la rue Lucien Faure, va devenir lieu de vie. Quel meilleur nom que celui d’une femme qui a consacré sa vie aux autres pour rebaptiser ce futur espace de rencontre. Laure-Alice Girou est née à Sainte-Foy-La-Grande, dans une famille protestante et pratiquante. Son éducation religieuse et familiale a guidé toute son existence. Femme d’honneur, fidèle à ses idées et à ses engagements, elle fut une résistante investie et très active durant la seconde guerre mondiale. Elle garda de cette période de fortes et solides amitiés avec des personnalités bordelaises, comme Jacques-Chaban Delmas pour ne citer que lui. Engagée comme veuve de journaliste au journal “La Petite Gironde”, elle créa par la suite le service social du journal “Sud Ouest”. (Nous reviendrons sur son parcours exemplaire dans un prochain numéro du Journal Bacalan).

Cette future place fait aujourd’hui l’objet d’importants travaux dans le cadre d’un vaste programme d’assainissement de la rive droite. Il s’agit, en effet, de connecter la collecte des eaux usées de Brazza, Bas Lormont et Cenon au réseau existant rue Lucien Faure. Pour se faire, il y aura une station de pompage rive droite avec une liaison sous-fluviale (un tunnel de 2,40 mètres de diamètre creusé sous la Garonne). Elle deviendra un point stratégique permettant d’accueillir en sous-sol un réservoir, relié par un puits de 25 mètres de profondeur et de 8 mètres de diamètre, qui stockera et régulera l’eau avant de l’acheminer vers l’usine de traitement Louis Fargue, via la rue Lucien Faure. Pourquoi avoir choisi ce lieu ? Tout simplement parce que c’était le seul espace public (en terme de foncier) disponible et facilement accessible. Son emplacement n’obligeant pas à creuser sous des bâtiments et des constructions. Certains platanes qui l’ornaient sont en mauvais état, ils vont donc être remplacés par différentes essences qui seront définies lors de la concertation. Un écran végétal protecteur l’isolera de la circulation environnante et un périscope permettra aux curieux de plonger dans les entrailles du système. Le choix des matériaux se fera en accord avec l’atelier des Bassins à flot, pour respecter l’harmonie générale du quartier. La place sera agrandie pour devenir rectangulaire et s’inscrire dans le prolongement de deux sentes qui seront créées de part et d’autre. Des bancs, des rampes d’accès aux personnes à mobilité réduite faciliteront la déambulation et la contemplation. Les traces du passé industriel et portuaire seront préservées et adaptées. Les rails seront ainsi comblés avec de la résine, les pavés actuels seront sciés comme sur le pourtour des Halles de Bacalan pour les rendre marchants. De la pelouse verdira l’ensemble. Le stationnement sera proscrit, puisque l’espace sera réservé aux piétons et habitants et aux déplacements doux. Les voitures pourront se garer dans le parking en silo qui se trouvera en face. Aux abords seront installées des bornes pour la recharge des voitures électriques et des bacs à verre seront enterrés. Les travaux de creusement ont démarré le 18 février 2019 et devraient durer un an, l’aménagement de la place se fera dans la continuité ainsi que la réfection du quai Lalande. Alors à bientôt vers ce nouvel espace de rencontres.

Places que j’aime

Sur l’air de La Bohème
(Jacques Plante / Charles Aznavour)

Je vous parle d’un plan
Qu’ici à Bacalan
On garde encore en tête
Gamines et gamins
Des rues, des grands chemins,
Des places et des fêtes
De la cité Claveau
Jusqu’aux Bassins à flot
Notre Histoire commune
C’est celle d’un quartier
D’un port au goût de Lune
De lieux à partager

Places que j’aime, places que j’aime
Ça voulait dire on est heureux
Places que j’aime, places que j’aime
Pour les enfants, les amoureux

Dans les p’tits parcs voisins
Nous étions quelques uns
Pendant les heures creuses
Pas vraiment alanguis
Au square Hypoustéguy
Ou près d’ la Lumineuse
S’il n’y a plus la Cité
L’endroit a hérité
De Berges de Garonne
Un nom qui pour beaucoup
Gambade et puis vous donne
Envie de boire un coup

Places que j’aime, places que j’aime
Ça voulait dire Bacalan
Places que j’aime, places que j’aime
On est des lions, pas des merlans

De l’autr’ côté des toits
Y’a aussi Pierre Cétois,
Victor Raulin des Vivres
Et j’espèr’ sans les trous
Bientôt Alice Girou
La prochaine place à suivre
Sûr que c’est pas gagné
Si comme à Buscaillet
On noie sous les fontaines
L’avis réel des gens
Au nom de l’Aquitaine
Et du manque d’argent

Places que j’aime, places que j’aime
On était jeunes, on n’est pas fous
Places que j’aime, places que j’aime
Ça veut dire rien lâcher du tout

Daniel Pantchenko

Dossier réalisé par Aurélien Benjamin, Lyès Hamache, Fabien Hude, Marjorie Michel, Daniel Panchenko et Catherine Passerin

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